Tractatus logico-philosophicus (français): Difference between revisions

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'''1''' Le monde est tout ce qui a lieu.<ref>Les nombres décimaux attachés à chaque proposition indiquent leur poids logique, leur importance dans mon exposition. Les propositions numérotées n.1, n.2, n.3, etc. sont des remarques à la proposition n; les propositions numérotées n.ml, n.m2, etc. sont des remarques à la proposition n.m et ainsi de suite. ''(Seule note de Wittgenstein, toutes les autres, numérotées, sont du traducteur.)''</ref>
'''1''' Le monde est tout ce qui a lieu.<ref>Les nombres décimaux attachés à chaque proposition indiquent leur poids logique, leur importance dans mon exposition. Les propositions numérotées n.1, n.2, n.3, etc. sont des remarques à la proposition n; les propositions numérotées n.ml, n.m2, etc. sont des remarques à la proposition n.m et ainsi de suite. ''(Seule note de Wittgenstein, toutes les autres, numérotées, sont du traducteur.)''</ref>
'''1.1''' Le monde est la totalité des faits, non des choses.
'''1.11''' Le monde est déterminé par les faits, et par ceci qu'ils sont ''tous'' les faits.
'''1.12''' Car la totalité des faits détermine ce qui a lieu, et aussi tout ce qui n'a pas lieu.
'''1.13''' Les faits dans l'espace logique sont le monde.
'''1.2''' Le monde se décompose en faits.
'''1.21''' Quelque chose peut isolément avoir lieu ou ne pas avoir lieu, et tout le reste demeurer inchangé.
'''2''' Ce qui a lieu, le fait, est la subsistance<ref>''das Bestehen''. La traduction « existence » me semble renvoyer trop directement à l'empirie, alors qu'il s'agit essentiellement d'existence dans l'espace logique. « Existence » traduira : ''Existenz'', vocable qui semble être employé le plus souvent en un sens encore plus abstrait, par exemple l'existence d'un concept.</ref> d'états de chose.
'''2.01''' L'état de choses est une connexion d'objets (entités, choses).
'''2.011''' Il fait partie de l'essence d'une chose d'être élément constitutif d'un état de choses.
'''2.012''' En logique, rien n'est accidentel : quand la chose se présente dans un état de choses, c'est que la possibilité de l'état de choses doit déjà être préjugée dans la chose.
'''2.0121''' Il apparaîtrait pour ainsi dire comme accidentel qu'à une chose qui pourrait subsister seule en elle-même, une situation<ref>''Sachlage''. Employé par Wittgenstein apparemment comme substitut plus vague de fait possible ou réel.</ref> convînt par surcroît.
Si les choses peuvent se présenter dans des états de choses, cette possibilité doit être déjà inhérente à celles-ci.
(Quelque chose de logique ne peut être seulement possible. La logique traite de chaque possibilité, et toutes les possibilités sont ses faits.)
De même que nous ne pouvons absolument nous figurer des objets spatiaux en dehors de l'espace, des objets temporels en dehors du temps, de même ne pouvons-nous nous figurer ''aucun'' objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres.
Si je puis me figurer l'objet lié dans l'état de choses, je ne puis me le figurer en dehors de la ''possibilité'' de ce lien.
'''2.0122''' La chose est indépendante, en tant qu'elle peut se présenter dans toutes situations possibles, mais cette forme d'indépendance est une forme d'interdépendance avec l'état de choses, une forme de non-indépendance. (Il est impossible que des mots apparaissent à la fois de deux façons différentes, isolés et dans la proposition.)
'''2.0123''' Si je connais l'objet, je connais aussi l'ensemble de ses possibilités d'occurrence dans des états de choses.
(Chacune de ces possibilités doit être inhérente à la nature de cet objet.)
Il n'est pas possible de trouver de surcroît une possibilité nouvelle.
'''2.01231''' Pour connaître un objet, il ne me faut certes pas connaître ses propriétés externes - mais bien toutes ses propriétés internes.
'''2.0124''' Si tous les objets sont donnés, alors sont aussi en même temps donnés tous les états de choses possibles.
'''2.013''' Chaque chose est, pour ainsi dire, dans un espace d'états de choses possibles. Cet espace, je puis me le figurer comme vide, mais non me figurer la chose sans l'espace.
'''2.0131''' L'objet spatial doit se trouver dans un espace infini. (Le point spatial est une place pour un argument.)
Une tache dans le champ visuel n'a certes pas besoin d'être rouge, mais elle doit avoir une couleur : elle porte pour ainsi dire autour d'elle l'espace des couleurs. Le son doit avoir ''une'' hauteur, l'objet du tact ''une'' dureté, etc.
'''2.014''' Les objets contiennent la possibilité de toutes les situations.
'''2.0141''' La possibilité de son occurrence dans des états de choses est la forme de l'objet.
'''2.02''' L'objet est simple.
'''2.0201''' Tout énoncé portant sur des complexes se laisse analyser en un énoncé sur leurs éléments et en propositions telles qu'elles décrivent complètement ces complexes.
'''2.021''' Les objets constituent la substance du monde. C'est pourquoi ils ne peuvent être composés.
'''2.0211''' Si le monde n'avait pas de substance, il en résulterait que, pour une proposition, avoir un sens dépendrait de la vérité d'une autre proposition.
'''2.0212''' Il serait alors impossible d'esquisser une image du monde (vraie ou fausse).

Revision as of 14:29, 12 November 2022

 Tractatus logico-philosophicus 


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Ludwig Wittgenstein

Tractatus logico-philosophicus (français)

 

Cette édition digitale est une reproduction de ... . Tous les droits sur la traduction appartiennent au Centre Gilles-Gaston Granger. Le Ludwig Wittgenstein Project remercie les Directeurs du Centre Gilles-Gaston Granger pour l’authorisation à publiser cette édition digitale. Reproduction interdite.

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Ludwig Wittgenstein

Tractatus logico-philosophicus


Devise

Dédié à la mémoire de mon ami
DAVID H. PINSENT


Devise

Devise : ... et tout ce que l'on sait, qu'on n'a pas seulement entendu comme un bruissement ou un grondement, se laisse dire en trois mots.

Kürnberger


Avant-propos

Ce livre ne sera peut-être compris que par qui aura déjà pensé lui-même les pensées qui s'y trouvent exprimées – ou du moins des pensées semblables. Ce n'est donc point un ouvrage d'enseignement. Son but serait atteint s'il se trouvait quelqu'un qui, l'ayant lu et compris, en retirait du plaisir.

Le livre traite des problèmes philosophiques, et montre – à ce que je crois – que leur formulation repose sur une mauvaise compréhension de la logique de notre langue. On pourrait résumer en quelque sorte tout le sens du livre en ces termes : tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.

Le livre tracera donc une frontière à l'acte de penser, – ou plutôt non pas à l'acte de penser, mais à l'expression des pensées : car pour tracer une frontière à l'acte de penser, nous devrions pouvoir penser les deux côtés de cette frontière (nous devrions donc pouvoir penser ce qui ne se laisse pas penser).

La frontière ne pourra donc être tracée que dans la langue, et ce qui est au-delà de cette frontière sera simplement dépourvu de sens.

Jusqu'à quel point mes efforts coïncident avec ceux d'autres philosophes, je n'en veux pas juger. En vérité, ce que j'ai ici écrit n'élève dans son détail absolument aucune prétention à la nouveauté; et c'est pourquoi je ne donne pas non plus de sources, car il m'est indifférent que ce que j'ai pensé, un autre l'ait déjà pensé avant moi.

Je veux seulement mentionner qu'aux œuvres grandioses de Frege et aux travaux de mon ami M. Bertrand Russell je dois, pour une grande part, la stimulation de mes pensées.

Si ce travail a quelque valeur, elle consiste en deux choses distinctes. Premièrement, en ceci, que des pensées y sont exprimées, et cette valeur sera d'autant plus grande que les pensées y sont mieux exprimées. D'autant mieux on aura frappé sur la tête du clou. Je suis conscient, sur ce point, d'être resté bien loin en deçà du possible. Simplement parce que mes forces sont trop modiques pour dominer la tâche. Puissent d'autres venir qui feront mieux.

Néanmoins, la vérité des pensées ici communiquées me semble intangible et définitive. Mon opinion est donc que j'ai, pour l'essentiel, résolu les problèmes d'une manière décisive. Et si en cela je ne me trompe pas, la valeur de ce travail consiste alors, en second lieu, en ceci, qu'il montre combien peu a été fait quand ces problèmes ont été résolus.

L.W.

Vienne, 1918.




Tractatus logico-philosophicus

1 Le monde est tout ce qui a lieu.[1]

1.1 Le monde est la totalité des faits, non des choses.

1.11 Le monde est déterminé par les faits, et par ceci qu'ils sont tous les faits.

1.12 Car la totalité des faits détermine ce qui a lieu, et aussi tout ce qui n'a pas lieu.

1.13 Les faits dans l'espace logique sont le monde.

1.2 Le monde se décompose en faits.

1.21 Quelque chose peut isolément avoir lieu ou ne pas avoir lieu, et tout le reste demeurer inchangé.

2 Ce qui a lieu, le fait, est la subsistance[2] d'états de chose.

2.01 L'état de choses est une connexion d'objets (entités, choses).

2.011 Il fait partie de l'essence d'une chose d'être élément constitutif d'un état de choses.

2.012 En logique, rien n'est accidentel : quand la chose se présente dans un état de choses, c'est que la possibilité de l'état de choses doit déjà être préjugée dans la chose.

2.0121 Il apparaîtrait pour ainsi dire comme accidentel qu'à une chose qui pourrait subsister seule en elle-même, une situation[3] convînt par surcroît.

Si les choses peuvent se présenter dans des états de choses, cette possibilité doit être déjà inhérente à celles-ci.

(Quelque chose de logique ne peut être seulement possible. La logique traite de chaque possibilité, et toutes les possibilités sont ses faits.)

De même que nous ne pouvons absolument nous figurer des objets spatiaux en dehors de l'espace, des objets temporels en dehors du temps, de même ne pouvons-nous nous figurer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres.

Si je puis me figurer l'objet lié dans l'état de choses, je ne puis me le figurer en dehors de la possibilité de ce lien.

2.0122 La chose est indépendante, en tant qu'elle peut se présenter dans toutes situations possibles, mais cette forme d'indépendance est une forme d'interdépendance avec l'état de choses, une forme de non-indépendance. (Il est impossible que des mots apparaissent à la fois de deux façons différentes, isolés et dans la proposition.)

2.0123 Si je connais l'objet, je connais aussi l'ensemble de ses possibilités d'occurrence dans des états de choses.

(Chacune de ces possibilités doit être inhérente à la nature de cet objet.)

Il n'est pas possible de trouver de surcroît une possibilité nouvelle.

2.01231 Pour connaître un objet, il ne me faut certes pas connaître ses propriétés externes - mais bien toutes ses propriétés internes.

2.0124 Si tous les objets sont donnés, alors sont aussi en même temps donnés tous les états de choses possibles.

2.013 Chaque chose est, pour ainsi dire, dans un espace d'états de choses possibles. Cet espace, je puis me le figurer comme vide, mais non me figurer la chose sans l'espace.

2.0131 L'objet spatial doit se trouver dans un espace infini. (Le point spatial est une place pour un argument.)

Une tache dans le champ visuel n'a certes pas besoin d'être rouge, mais elle doit avoir une couleur : elle porte pour ainsi dire autour d'elle l'espace des couleurs. Le son doit avoir une hauteur, l'objet du tact une dureté, etc.

2.014 Les objets contiennent la possibilité de toutes les situations.

2.0141 La possibilité de son occurrence dans des états de choses est la forme de l'objet.

2.02 L'objet est simple.

2.0201 Tout énoncé portant sur des complexes se laisse analyser en un énoncé sur leurs éléments et en propositions telles qu'elles décrivent complètement ces complexes.

2.021 Les objets constituent la substance du monde. C'est pourquoi ils ne peuvent être composés.

2.0211 Si le monde n'avait pas de substance, il en résulterait que, pour une proposition, avoir un sens dépendrait de la vérité d'une autre proposition.

2.0212 Il serait alors impossible d'esquisser une image du monde (vraie ou fausse).

  1. Les nombres décimaux attachés à chaque proposition indiquent leur poids logique, leur importance dans mon exposition. Les propositions numérotées n.1, n.2, n.3, etc. sont des remarques à la proposition n; les propositions numérotées n.ml, n.m2, etc. sont des remarques à la proposition n.m et ainsi de suite. (Seule note de Wittgenstein, toutes les autres, numérotées, sont du traducteur.)
  2. das Bestehen. La traduction « existence » me semble renvoyer trop directement à l'empirie, alors qu'il s'agit essentiellement d'existence dans l'espace logique. « Existence » traduira : Existenz, vocable qui semble être employé le plus souvent en un sens encore plus abstrait, par exemple l'existence d'un concept.
  3. Sachlage. Employé par Wittgenstein apparemment comme substitut plus vague de fait possible ou réel.