Tractatus logico-philosophicus 


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Ludwig Wittgenstein

Tractatus logico-philosophicus (français)

 

Cette édition digitale est une reproduction de ... . Tous les droits sur la traduction appartiennent au Centre Gilles-Gaston Granger. Le Ludwig Wittgenstein Project remercie les Directeurs du Centre Gilles-Gaston Granger pour l’authorisation à publiser cette édition digitale. Reproduction interdite.

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Ludwig Wittgenstein

Tractatus logico-philosophicus


Devise

Dédié à la mémoire de mon ami
DAVID H. PINSENT


Devise

Devise : ... et tout ce que l'on sait, qu'on n'a pas seulement entendu comme un bruissement ou un grondement, se laisse dire en trois mots.

Kürnberger


Avant-propos

Ce livre ne sera peut-être compris que par qui aura déjà pensé lui-même les pensées qui s'y trouvent exprimées – ou du moins des pensées semblables. Ce n'est donc point un ouvrage d'enseignement. Son but serait atteint s'il se trouvait quelqu'un qui, l'ayant lu et compris, en retirait du plaisir.

Le livre traite des problèmes philosophiques, et montre – à ce que je crois – que leur formulation repose sur une mauvaise compréhension de la logique de notre langue. On pourrait résumer en quelque sorte tout le sens du livre en ces termes : tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.

Le livre tracera donc une frontière à l'acte de penser, – ou plutôt non pas à l'acte de penser, mais à l'expression des pensées : car pour tracer une frontière à l'acte de penser, nous devrions pouvoir penser les deux côtés de cette frontière (nous devrions donc pouvoir penser ce qui ne se laisse pas penser).

La frontière ne pourra donc être tracée que dans la langue, et ce qui est au-delà de cette frontière sera simplement dépourvu de sens.

Jusqu'à quel point mes efforts coïncident avec ceux d'autres philosophes, je n'en veux pas juger. En vérité, ce que j'ai ici écrit n'élève dans son détail absolument aucune prétention à la nouveauté; et c'est pourquoi je ne donne pas non plus de sources, car il m'est indifférent que ce que j'ai pensé, un autre l'ait déjà pensé avant moi.

Je veux seulement mentionner qu'aux œuvres grandioses de Frege et aux travaux de mon ami M. Bertrand Russell je dois, pour une grande part, la stimulation de mes pensées.

Si ce travail a quelque valeur, elle consiste en deux choses distinctes. Premièrement, en ceci, que des pensées y sont exprimées, et cette valeur sera d'autant plus grande que les pensées y sont mieux exprimées. D'autant mieux on aura frappé sur la tête du clou. Je suis conscient, sur ce point, d'être resté bien loin en deçà du possible. Simplement parce que mes forces sont trop modiques pour dominer la tâche. Puissent d'autres venir qui feront mieux.

Néanmoins, la vérité des pensées ici communiquées me semble intangible et définitive. Mon opinion est donc que j'ai, pour l'essentiel, résolu les problèmes d'une manière décisive. Et si en cela je ne me trompe pas, la valeur de ce travail consiste alors, en second lieu, en ceci, qu'il montre combien peu a été fait quand ces problèmes ont été résolus.

L.W.

Vienne, 1918.




Tractatus logico-philosophicus

1 Le monde est tout ce qui a lieu.[1]

1.1 Le monde est la totalité des faits, non des choses.

1.11 Le monde est déterminé par les faits, et par ceci qu'ils sont tous les faits.

1.12 Car la totalité des faits détermine ce qui a lieu, et aussi tout ce qui n'a pas lieu.

1.13 Les faits dans l'espace logique sont le monde.

1.2 Le monde se décompose en faits.

1.21 Quelque chose peut isolément avoir lieu ou ne pas avoir lieu, et tout le reste demeurer inchangé.

2 Ce qui a lieu, le fait, est la subsistance[2] d'états de chose.

2.01 L'état de choses est une connexion d'objets (entités, choses).

2.011 Il fait partie de l'essence d'une chose d'être élément constitutif d'un état de choses.

2.012 En logique, rien n'est accidentel : quand la chose se présente dans un état de choses, c'est que la possibilité de l'état de choses doit déjà être préjugée dans la chose.

2.0121 Il apparaîtrait pour ainsi dire comme accidentel qu'à une chose qui pourrait subsister seule en elle-même, une situation[3] convînt par surcroît.

Si les choses peuvent se présenter dans des états de choses, cette possibilité doit être déjà inhérente à celles-ci.

(Quelque chose de logique ne peut être seulement possible. La logique traite de chaque possibilité, et toutes les possibilités sont ses faits.)

De même que nous ne pouvons absolument nous figurer des objets spatiaux en dehors de l'espace, des objets temporels en dehors du temps, de même ne pouvons-nous nous figurer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres.

Si je puis me figurer l'objet lié dans l'état de choses, je ne puis me le figurer en dehors de la possibilité de ce lien.

2.0122 La chose est indépendante, en tant qu'elle peut se présenter dans toutes situations possibles, mais cette forme d'indépendance est une forme d'interdépendance avec l'état de choses, une forme de non-indépendance. (Il est impossible que des mots apparaissent à la fois de deux façons différentes, isolés et dans la proposition.)

2.0123 Si je connais l'objet, je connais aussi l'ensemble de ses possibilités d'occurrence dans des états de choses.

(Chacune de ces possibilités doit être inhérente à la nature de cet objet.)

Il n'est pas possible de trouver de surcroît une possibilité nouvelle.

2.01231 Pour connaître un objet, il ne me faut certes pas connaître ses propriétés externes - mais bien toutes ses propriétés internes.

2.0124 Si tous les objets sont donnés, alors sont aussi en même temps donnés tous les états de choses possibles.

2.013 Chaque chose est, pour ainsi dire, dans un espace d'états de choses possibles. Cet espace, je puis me le figurer comme vide, mais non me figurer la chose sans l'espace.

2.0131 L'objet spatial doit se trouver dans un espace infini. (Le point spatial est une place pour un argument.)

Une tache dans le champ visuel n'a certes pas besoin d'être rouge, mais elle doit avoir une couleur : elle porte pour ainsi dire autour d'elle l'espace des couleurs. Le son doit avoir une hauteur, l'objet du tact une dureté, etc.

2.014 Les objets contiennent la possibilité de toutes les situations.

2.0141 La possibilité de son occurrence dans des états de choses est la forme de l'objet.

2.02 L'objet est simple.

2.0201 Tout énoncé portant sur des complexes se laisse analyser en un énoncé sur leurs éléments et en propositions telles qu'elles décrivent complètement ces complexes.

2.021 Les objets constituent la substance du monde. C'est pourquoi ils ne peuvent être composés.

2.0211 Si le monde n'avait pas de substance, il en résulterait que, pour une proposition, avoir un sens dépendrait de la vérité d'une autre proposition.

2.0212 Il serait alors impossible d'esquisser une image du monde (vraie ou fausse).

2.022 Il est patent que, si différent du monde réel que soit conçu un monde, il faut qu'il ait quelque chose – une forme – en commun avec lui.

2.023 Cette forme consiste justement dans les objets.

2.0231 La substance du monde ne peut déterminer qu'une forme, et nullement des propriétés matérielles. Car celles-ci sont d'abord figurées[4] par les propositions – d'abord formées par la configuration des objets.

2.0232 En termes sommaires : les objets sont sans couleur.

2.0233 Deux objets de même forme logique – leurs propriétés externes mises à part – ne se différencient l'un de l'autre que parce qu'ils sont distincts.

2.02331 Ou bien une chose a des propriétés que ne possède aucune autre, et l'on peut alors sans plus la détacher des autres par une description, et la désigner; ou bien au contraire il y a plusieurs choses qui ont en commun toutes leurs propriétés, et il est alors absolument impossible de montrer l'une d'elles parmi les autres.

Car si rien ne distingue une chose, je ne puis la distinguer, sans quoi elle serait justement distinguée.

2.024 La substance est ce qui subsiste indépendamment de ce qui a lieu.

2.025 Elle est forme et contenu.

2.0251 L'espace, le temps et la couleur (la capacité d'être coloré) sont des formes des objets.

2.026 Ce n'est que s'il y a des objets qu'il peut y avoir une forme fixe du monde.

2.027 Le fixe, le subsistant et l'objet sont une seule et même chose.

2.0271 L'objet est le fixe, le subsistant; la configuration est le changeant, l'instable.

2.0272 La configuration des objets forme l'état de choses. Sital al

2.03 Dans l'état de choses, les objets sont engagés les uns dans les autres comme les anneaux pendants d'une chaîne.

2.031 Dans l'état de choses les objets sont mutuellement dans un rapport déterminé.

2.032 La manière déterminée dont les objets se rapportent les uns aux autres dans l'état de choses est la structure de ce dernier.

2.033 La forme est la possibilité de la structure.

2.034 La structure du fait consiste dans les structures des états de choses.

2.04 La totalité des états de choses subsistants est le monde.

2.05 La totalité des états de choses subsistants détermine aussi quels sont les états de choses non subsistants.

2.06 La subsistance des états de choses et leur non-subsistance est la réalité.

(La subsistance des états de choses et leur non-subsistance, nous les nommerons respectivement aussi fait positif et fait négatif.)

2.061 Les états de choses sont mutuellement indépendants.

2.062 De la subsistance ou de la non-subsistance d'un état de choses, on ne peut déduire la subsistance ou la non-subsistance d'un autre état de choses.

2.063 La totalité de la réalité est le monde[5].

2.1 Nous nous faisons des images des faits.

2.11 L'image présente la situation dans l'espace logique, la subsistance et la non-subsistance des états de choses.

2.12 L'image est un modèle de la réalité.

2.13 Aux objets correspondent, dans l'image, les éléments de celle-ci.

2.131 Les éléments de l'image sont les représentants des objets dans celle-ci.

2.14 L'image consiste en ceci, que ses éléments sont entre eux dans un rapport déterminé.

2.141 L'image est un fait.

2.15 Que les éléments de l'image soient entre eux dans un rapport déterminé présente ceci : que les choses sont entre elles dans ce rapport.

Cette interdépendance des éléments de l'image, nommons-la sa structure, et la possibilité de cette interdépendance sa forme de représentation.

2.151 La forme de représentation est la possibilité que les choses soient entre elles dans le même rapport que les éléments de l'image.

2.1511 L'image est ainsi attachée à la réalité; elle va jusqu'à atteindre la réalité.

2.1512 Elle est comme une règle graduée appliquée à la réalité.

2.15121 Seuls les traits de division extrêmes touchent l'objet à mesurer.

2.1513 Selon cette conception, la relation représentative appartient donc aussi à l'image qu'elle constitue comme telle.

2.1514 La relation représentative consiste dans les correspondances des éléments de l'image et des choses.

2.1515 Ces correspondances sont pour ainsi dire les antennes des éléments de l'image, par le moyen desquelles celle-ci touche la réalité.l

2.16 Pour être une image, le fait doit avoir quelque chose en commun avec ce qu'il représente.

2.161 Dans l'image et dans le représenté quelque chose doit se retrouver identiquement, pour que l'une soit proprement l'image de l'autre.

2.17 Ce que l'image doit avoir en commun avec la réalité pour la représenter à sa manière – correctement ou incorrectement – c'est sa forme de représentation.

2.171 L'image peut représenter toute réalité dont elle a la forme.

L'image spatiale tout ce qui est spatial, l'image en couleurs tout ce qui est coloré, etc.

2.172 Mais sa forme de représentation, l'image ne peut la représenter; elle la montre.

2.173 L'image figure son corrélat de l'extérieur (son point de vue est sa forme de figuration), c'est pourquoi elle présente son corrélat correctement ou incorrectement.

2.174 Mais l'image ne peut se placer en dehors de sa forme de figuration.

2.18 Ce que toute image, quelle qu'en soit la forme, doit avoir en commun avec la réalité pour pouvoir proprement la représenter – correctement ou non – c'est la forme logique, c'est-à-dire la forme de la réalité.

2.181 Si la forme de représentation est la forme logique, l'image est appelée image logique.

2.182 Toute image est en même temps image logique. (Au contraire, toute image n'est pas spatiale.)

2.19 L'image logique peut représenter le monde.

2.2 L'image a en commun avec le représenté la forme logique de représentation.

2.201 L'image représente la réalité en figurant une possibilité de subsistance et de non-subsistance d'états de choses.

2.202 L'image figure une situation possible dans l'espace logique.

2.203 L'image contient la possibilité de la situation qu'elle figure.

2.21 L'image s'accorde ou non avec la réalité; elle est correcte ou incorrecte, vraie ou fausse.

2.22 L'image figure ce qu'elle figure, indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté, par la forme de représentation.

2.221 Ce que l'image figure est son sens.

2.222 C'est dans l'accord ou le désaccord de son sens avec la réalité que consiste sa vérité ou sa fausseté.

2.223 Pour reconnaître si l'image est vraie ou fausse, nous devons la comparer avec la réalité.

2.224 À partir de la seule image, on ne peut reconnaître si elle est vraie ou fausse.

2.225 Il n'y a pas d'image vraie a priori.

3 L'image logique des faits est la pensée.

3.001 « Un état de choses est pensable » signifie : nous pouvons nous en faire une image.

3.01 La totalité des pensées vraies est une image du monde.

3.02 La pensée contient la possibilité des situations qu'elle pense. Ce qui est pensable est aussi possible.

3.03 Nous ne pouvons rien penser d'illogique, parce que nous devrions alors penser illogiquement.

3.031 On a dit que Dieu pouvait tout créer, sauf seulement ce qui contredirait aux lois de la logique. – En effet, nous ne pourrions pas dire à quoi ressemblerait un monde « illogique ».

3.032 Figurer dans le langage quelque chose de « contraire à la logique », on ne le peut pas plus que figurer en géométrie par ses coordonnées une figure qui contredirait aux lois de l'espace; ou donner les coordonnées d'un point qui n'existe pas.

3.0321 Nous pouvons bien figurer spatialement un état de choses qui heurte les lois de la physique, mais non pas un état de choses qui heurte celles de la géométrie.

3.04 Une pensée correcte a priori serait telle que sa possibilité détermine sa vérité.

3.05 Nous ne pourrions savoir a priori qu'une pensée est vraie, que si sa vérité pouvait être reconnue dans la pensée même (sans objet de comparaison).

3.1 Dans la proposition la pensée s'exprime pour la perception sensible.

3.11 Nous usons du signe sensible (sonore ou écrit, etc.) de la proposition comme projection de la situation possible.

La méthode de projection est la pensée du sens de la proposition.

3.12 Le signe par lequel nous exprimons la pensée, je le nomme signe propositionnel. Et la proposition est le signe propositionnel dans sa relation projective au monde.

3.13 À la proposition appartient tout ce qui appartient à la projection; mais non pas le projeté.

Donc la possibilité du projeté, non le projeté lui-même. Dans la proposition, le sens n'est donc pas encore contenu, mais seulement la possibilité de l'exprimer.

(« Le contenu de la proposition » signifie le contenu de la proposition pourvue de sens.)

Dans la proposition, est contenue la forme de son sens, mais non pas le contenu de celui-ci.

3.14 Le signe propositionnel consiste en ceci, qu'en lui ses éléments, les mots, sont entre eux dans un rapport déterminé. Le signe propositionnel est un fait.

3.141 La proposition n'est pas un mélange de mots. (De même que le thème musical n'est pas un mélange de notes.) La proposition est articulée.

3.142 Seuls des faits peuvent exprimer un sens, une classe de noms ne le peut pas.

3.143 Que le signe propositionnel soit un fait, la forme d'expression usuelle de l'écriture ou de l'imprimerie le masque.

Car dans la proposition imprimée, par exemple, le signe propositionnel n'apparaît pas comme essentiellement distinct du mot.

(Ce qui a rendu possible que Frege ait appelé la proposition un nom composé.)

3.1431 L'essence du signe propositionnel devient très claire lorsque nous nous le figurons comme composé d'objets spatiaux (tels des tables, des chaises, des livres) au lieu de signes d'écriture.

La position spatiale respective de ces choses exprime alors le sens de la proposition.

3.1432 Non pas : « le signe complexe aRb dit que a est dans la relation R avec b », mais bien : que « a » soit dans une relation determinée avec « b » dit que aRb.

3.144 Les situations peuvent être décrites, non nommées. (Les noms sont comme des points, les propositions comme des flèches, elles ont un sens.)

3.2 Dans la proposition la pensée peut être exprimée de telle façon que les objets de la pensée correspondent aux éléments du signe propositionnel.

3.201 Je nomme ces éléments : « signes simples » et cette proposition: « complètement analysée ».

3.202 Les signes simples utilisés dans la proposition s'appellent noms.

3.203 Le nom signifie[6] l'objet. L'objet est sa signification. (« A » est le même signe que « A ».)

3.21 À la configuration des signes simples dans le signe propositionnel correspond la configuration des objets dans la situation.

3.22 Le nom est dans la proposition le représentant de l'objet.

'3.221 Je ne puis que nommer les objets. Des signes en sont les représentants. Je ne puis qu'en parler, non les énoncer[7]. Une proposition peut seulement dire comment est une chose, non ce quelle est.

3.23 Requérir la possibilité des signes simples, c'est requérir la détermination du sens.

3.24 La proposition qui concerne un complexe est dans un rapport interne avec la proposition qui concerne un élément de ce complexe.

Le complexe ne peut être donné que par une description, et celle-ci convient ou ne convient pas. La proposition dans laquelle il est question d'un complexe, si celui-ci n'existe pas, ne sera pas dépourvue de sens[8], mais simplement fausse.

Qu'un élément propositionnel dénote un complexe, on peut le reconnaître à une indétermination dans les propositions où il apparaît. Nous savons que par cette proposition tout n'est pas encore déterminé. (La notation du général contient en effet une image primitive.)

La contraction du symbole d'un complexe en un symbole simple peut être exprimée par une définition.

3.25 Il y a une analyse complète de la proposition, et une seulement.

3.251 La proposition exprime d'une manière déterminée et clairement assignable ce qu'elle exprime : la proposition est articulée.

3.26 Le nom ne saurait être fractionné en éléments par une définition : c'est un signe primitif.

3.261 Chaque signe défini dénote par-delà les signes qui servent à le définir; et les définitions montrent la direction.

Deux signes, l'un primitif et l'autre défini par des signes primitifs, ne peuvent dénoter de la même manière. On ne peut démembrer des noms au moyen de définitions. (Ni aucun signe qui a une signification isolément et par soi-même.)

3.262 Ce qui, dans les signes, ne parvient pas à l'expression, l'emploi de ceux-ci le montre. Ce que les signes escamotent, leur emploi l'énonce.

3.263 Les significations des signes primitifs peuvent être expliquées par des éclaircissements. Les éclaircissements sont des propositions contenant les signes primitifs. Ils ne peuvent donc être compris que si les significations de ces signes sont déjà connues.

3.3 Seule la proposition a un sens; ce n'est que lié dans une proposition que le nom a une signification.

3.31 Chaque partie de la proposition qui caractérise son sens, je la nomme expression (symbole).

(La proposition elle-même est une expression.)

Est expression tout ce qui, étant essentiel au sens d'une proposition, peut être commun à des propositions.

L'expression fait reconnaître une forme et un contenu.

3.311 L'expression présuppose les formes de toutes les propositions dans lesquelles elle peut apparaître. Elle est la marque caractéristique commune d'une classe de propositions.

3.312 Elle est donc figurée par la forme générale des propositions qu'elle caractérise.

Et alors, dans cette forme, l'expression sera constante et tout le reste variable.

3.313 L'expression sera donc figurée au moyen d'une variable, dont les valeurs sont les propositions qui contiennent cette expression.

(À la limite, la variable devient une constante, l'expression une proposition.)

J'appelle une telle variable « variable propositionnelle ».

3.314 L'expression n'a de signification que dans la proposition. Toute variable peut être conçue comme variable propositionnelle.

(Y compris le nom variable.)

3.315 Si nous transformons en variable une partie constituante d'une proposition, il existe alors une classe de propositions qui sont toutes les valeurs de la proposition variable ainsi créée. Cette classe dépend encore en général de ce que par convention arbitraire nous entendons par parties de cette proposition. Mais si nous transformons en variable tout signe dont la signification a été arbitrairement déterminée, il existe encore une telle classe, mais elle ne dépend plus alors d'aucune convention, et dépend seulement de la nature de la proposition. Elle correspond à une forme logique, à une image logique primitive.

3.316 Les valeurs que la variable propositionnelle peut prendre sont déterminées.

La détermination de ces valeurs est la variable.

3.317 La détermination des valeurs de la variable propositionnelle est la donnée des propositions dont cette variable est la marque commune.

Cette détermination est une description de ces propositions. Cette détermination ne concerne donc que les symboles non leur signification.

Ceci seulement est essentiel à cette détermination, à savoir qu'elle n'est qu'une description de symboles, qui ne déclare rien au sujet de ce qui est dénoté.

La manière dont se produit la description des propositions est inessentielle.

3.318 Je conçois la proposition – avec Frege et Russell – comme fonction des expressions qu'elle contient.

3.32 Le signe est ce qui est perceptible aux sens dans le symbole.

3.321 Deux symboles différents peuvent avoir leur signe en commun (écrit ou parlé, etc.) – ils dénotent alors de manières différentes.

3.322 Que nous dénotions deux objets par le même signe, mais selon deux modes de dénotation différents, ne peut jamais indiquer la marque commune de ces objets. Car le signe est arbitraire. On pourrait donc aussi bien choisir deux signes différents, et où serait alors le caractère commun dans la dénotation?

3.323 Dans la langue usuelle il arrive fort souvent que le même mot dénote de plusieurs manières différentes – et appartienne donc à des symboles différents –, ou bien que deux mots, qui dénotent de manières différentes, sont en apparence employés dans la proposition de la même manière.

Ainsi le mot « est » apparaît comme copule, comme signe d'égalité et comme expression de l'existence; « exister » comme verbe intransitif, à la façon d'« aller »; « identique » comme adjectif qualificatif; nous parlons « de quelque chose », mais disons aussi que « quelque chose » arrive.

(Dans la proposition « Brun est brun » – où le premier mot est un nom de personne, le dernier un adjectif qualificatif –, ces deux mots n'ont pas simplement des significations différentes, ce sont des symboles différents.)

3.324 Ainsi naissent facilement les confusions fondamentales (dont toute la philosophie est pleine).

3.325 Pour éviter ces erreurs, il nous faut employer une langue symbolique qui les exclut, qui n'use pas du même signe pour des symboles différents, ni n'use, en apparence de la même manière, de signes qui dénotent de manières différentes. Une langue symbolique donc qui obéisse à la grammaire logique – à la syntaxe logique.

(L'idéographie[9] de Frege et de Russell constitue une telle langue, qui pourtant n'est pas encore exempte de toute erreur.)

3.326 Pour reconnaître le symbole sous le signe, il faut prendre garde à son usage pourvu de sens.

3.327 Le signe ne détermine une forme logique que pris avec son emploi logico-syntaxique.

3.328 Si un signe n'a pas d'usage, il n'a pas de signification. Tel est le sens de la devise d'Occam.

(Si tout se passe comme si un signe avait une signification, c'est qu'alors il en a une.)

3.33 Dans la syntaxe logique, la signification d'un signe ne saurait jouer aucun rôle; il faut que la syntaxe soit établie sans

  1. Les nombres décimaux attachés à chaque proposition indiquent leur poids logique, leur importance dans mon exposition. Les propositions numérotées n.1, n.2, n.3, etc. sont des remarques à la proposition n; les propositions numérotées n.ml, n.m2, etc. sont des remarques à la proposition n.m et ainsi de suite. (Seule note de Wittgenstein, toutes les autres, numérotées, sont du traducteur.)
  2. das Bestehen. La traduction « existence » me semble renvoyer trop directement à l'empirie, alors qu'il s'agit essentiellement d'existence dans l'espace logique. « Existence » traduira : Existenz, vocable qui semble être employé le plus souvent en un sens encore plus abstrait, par exemple l'existence d'un concept.
  3. Sachlage. Employé par Wittgenstein apparemment comme substitut plus vague de fait possible ou réel.
  4. Wittgenstein use des mots darstellen, vorstellen, abbilden pour exprimer l'idée de représenter. Sans être sûr que les différences, dans son texte, soient toujours autres que purement stylistiques, je traduirai dans le Tractatus darstellen par figurer, vorstellen par présenter, abbilden par représenter et Abbildung par représentation. On trouvera aussi vertreten : être le représentant, le substitut de.
  5. Il y a trois définitions du monde : les faits dans l'espace logique (1.13), la totalité des états de choses subsistants (2.04), la totalité de la réalité (2.063), qui doivent coïncider.
  6. bedeutet. On distinguera la traduction de ce verbe de celles de: aufweisen (montrer sans pouvoir exprimer, 2.172 par exemple), et de : bezeichnen (indiquer, dénoter, mot général et assez vague s'appliquant aussi bien au signe propositionnel qu'au nom). On traduira Bedeutung par : signification.
  7. aussprechen.
  8. unsinnig.
  9. Begriffsschrift.